[Terminé] Au grand air

Tenue : même que l'image de profil. (oui oui, très léger )


« 36 … 37 … 38 … 39 … »

Cela devait faire une bonne heure et demie déjà que je m’entraînais. Blackwood était l’endroit idéal pour ça, sa forêt et son grand air rendait les lieux propices à l’évasion. Je venais d’entamer ma troisième série d’abdos, après un footing suffisamment long pour que mes muscles me fassent un mal de chien. Mais je n’allais pas m’arrêter là, ce serait bien trop simple et inutile. Tous mes efforts allaient porter leurs fruits, et je devais me maintenir en forme. Mais au-delà de ça, c’était surtout me vider la tête qui m’intéressais.

J’avais accumulé énormément de pression ces derniers temps au travail. Il faut dire qu’être chef d’une si grosse organisation n’était pas de tout repos, je savais à quoi je devais m’attendre quand j’avais été nommée, et ça avait été un grand honneur pour moi. Mais parfois, partir un peu pour être seule, de mon côté, c’était nécessaire. Nous avions tous besoin de moment à nous, même ceux qui possédaient d’énormes responsabilités. Et pour ma part, plus particulièrement quand je faisais mon sport. C’était inconcevable pour moi de partager ce moment avec quelqu’un, sauf quand je m’entraînais au tir ou au combat rapproché bien sûr. Autrement, j’avais besoin de ce moment pour être tranquille, et pour me vider l’esprit.

« 100. »

Relâchant tout, je laissais mes bras et mes jambes s’étaler à même le sol. Le ciel était bien bleu, et le soleil perçait entre les branches des arbres, déposant une légère chaleur agréable sur mon visage. Je n’avais pas fini mon entraînement, ça non, mais je devais m’accorder une pause de cinq minutes, c’était essentiel. Impossible de savoir si je m’entraînais depuis plus longtemps qu’une heure et demie ou non, en tout cas je n’avais que très soif. Je me redressai légèrement puis attrapa ma gourde d’eau, posée à côté de moi sur les feuilles, virant une araignée qui s’était logée dessus, avant d’ouvrir la gourde et de boire quelques gorgées.

Je la reposai ensuite au même endroit, puis me rallongea quelques secondes, les yeux fermés. J’aimais ces instants, ou je pouvais réfléchir en paix et dans le calme sans être dérangée. Si ma mère me voyait, et voyait tout ce que j’avais accompli ces dernières années, elle serait fière de moi. Je n’avais clairement pas envie de m’orienter vers autre chose, j’avais le sentiment que rejoindre P.U.R.E. avait été la meilleure des décisions de toute ma vie, et pas que pour ma famille mais pour moi aussi. Quoi de mieux que de défendre ses valeurs ? La difficulté résidait simplement dans la vie sociale. Difficile de se lier d’amitié avec qui que ce soit, encore plus quand on prenait du grade.

Je soupirai puis rouvrit les yeux, décidant qu’il était temps de m’y remettre. Inutile de ressasser tout ça, il fallait toujours se concentrer sur l’instant présent, et penser au futur pour le construire comme on le souhaite. Aller de l’avant. Ma mère était morte, elle le resterait, et moi je devais m’assurer d’apporter le meilleur pour ma nation. Me tournant pour me mettre face au sol, j’entamai cette fois des pompes, le visage en sueur, les sourcils légèrement froncés, me vidant une nouvelle fois la tête de toutes pensées.

Concentrée dans ce que je faisais, je profitais du calme environnant et de la légère brise qui me faisait beaucoup de bien. Les muscles de mes bras tiraient fort mais je restais focus, effaçant toute pensée de mon esprit pour aller jusqu’au bout. Rien ni personne ne semblait être aux alentours, c’était définitivement parfait. Enfin, jusqu’à ce que …

Quelque chose, je n’aurais su dire quoi sur le coup, me tomba dessus en plein sur le visage. Je me mit à genou, passant ma main sur ce qui ressemblait à … non, un oiseau n’aurait pas osé me faire ça ?! Fronçant les sourcils, je regardais en l’air en maudissant le ciel. Foutu piaf, quelle bestiole pouvait lâcher des machins pareil ?! Je me penchai vers mon sac et en sortit une serviette pour m’essuyer, les dents serrées, lorsque j’entendis un bruit qui brisa le calme autour de moi.

Relevant la tête, je cherchai la source du bruit et mes yeux se posèrent sur un arbre, à côté de moi. En plissant un peu les yeux, je put distinguer sans aucun problème une forme sur une des branches, qui semblait lutter avec elle-même pour ne pas exploser de rire. Terminant de m’essuyer le visage, je balançais le torchon sur mon sac et croisa les bras sans quitter l’intrus des yeux. Ça c’était la meilleure, j’étais tranquille et sans aucune raison on avait décidé de venir m’emmerder, ce qui avait le don de m’énerver. J’aimais être tranquille quand je faisais mon sport, ne pas être dérangée … mais cette personne semblait en avoir décidé autrement.

« Tu trouves ça drôle ? »

La situation aurait pu me faire rire, dans d’autres cas. D’abord, je ne la connaissais pas, et j’avais déjà tendance à peu rire quand j’étais avec mes gars alors avec une inconnue … et de plus, elle venait d’interrompre ma séance de sport, ce qui était clairement suicidaire quand on ne me connaissais pas. Je soupirais et laissa échapper un petit grognement dû aux courbatures qui apparaissaient déjà.

Même si je l’avais voulu, je n’aurais pas pu monter à cet arbre. J’avais beaucoup trop mal aux bras, et l’escalade c’était pas mon truc. Elle, par contre, elle semblait à l’aise là-haut. Elle portait une simple tenue, comme quelqu’un qui venait simplement se promener dans la forêt pour se poser au calme, ou pour venir faire chier ceux qui cherchait justement ce calme. J’haussais un sourcil en l’observant, puis décroisa les bras et me pencha pour ramasser mon sac et ranger le torchon.

La question était maintenant de savoir si c’était réellement un oiseau qui venait de se lâcher sur moi, ce qui aurait signifié que cette fille était en train de m’observer faire du sport et ça, c’était clairement … malsain ? Soit elle m’avait lancé quelque chose à la figure. Même si la deuxième option était la plus énervante, c’était peut-être aussi la moins gênante. Je relevais de nouveau la tête vers elle.

« Tu ferais mieux de descendre de là avant de glisser, de tomber, et de te faire mal. Ça serait vraiment con. »

Je levais les yeux au ciel à la réponse de la jeune femme devant moi. Visiblement, elle avait beaucoup d’humour, et je ne savais pas quoi répondre sur le coup. Mais sa provocation me plaisait, au moins elle ne s’écrasait pas comme la plupart l’aurait fait, et ça c’était bien. Ça changeait clairement de celles et ceux qui prenaient peur et se pliaient à toutes mes volontés, rien que quand je leur lançais un regard mauvais.

Par contre, elle a vraiment pensé que je m’inquiétais pour elle ? C’est mal me connaître. Mon ton ironique n’avait certes pas été très appuyé, mais quand même. Je l’observai descendre de l’arbre et se placer devant moi, son agilité me laissa penser qu’elle avait l’habitude de ce genre d’escalade et c’était tant mieux pour elle. Elle était légèrement plus petite que moi, mais ce qui m’interpella ce fut surtout ses yeux. Ils étaient exactement comme ses cheveux : un côté rose, l’autre marron, et ça en était … bizarre. Peut-être était-ce des lentilles ? Aucun moyen de le savoir, mais je plissai un peu les yeux par réflexe.

« Hmm … je viens de temps en temps. »

Je continuais de la fixer, attendant patiemment qu’elle fasse quelque chose. Sinon, je tournerai les talons, je n’avais pas terminé mon entraînement et je n’étais de toute façon pas suffisamment sociable. Du moins, j’étais bien trop méfiante, en particulier avec les inconnus en pleine forêt et avec une apparence si … étrange. Ça lui allait bien, même si je ne lui dirais pas, et c’était original. Mais quand même.

-J’ai installé mon sac pas loin pour un petit déjeuner pique-nique, vous voulez vous joindre à moi ? Tout ce sport, ça creuse non ?

J’ouvrit la bouche un instant et la referma, surprise. Elle me demandait réellement d’aller manger quelque chose avec elle ? Alors qu’on ne se connaissais pas ? Maintenant qu’elle le disait, j’avais un petit creux. J’avais pris cette manie de ne pas manger pendant des heures, tant que je n’étais pas satisfaite avec mon sport. Je savais que ce n’était pas bon, mais au moins les résultats étaient visibles.

Son sourire était innocent, elle ne semblait pas agressive ni quoi que ce soit, mais je ne pouvais pas accepter. Je ne la connaissais pas, et si elle savait qui j’étais ? Mon appartenance à P.U.R.E., et surtout mon statut au sein de l’organisation, était tenue secrète. Mais peut-être avait-elle trouvé l’information ? Peut-être qu’elle n’était pas seule, et qu’elle comptait me prendre en embuscade ? Après tout, il y avait des gens qui étaient d’accord avec les actes de mon organisation, mais d’autres qui ne l’étaient pas. Il ne fallait pas que j’oublie qu’elle était dans un arbre, à m’observer … à moins qu’elle fût là avant. Impossible de savoir.

« Non merci, j’ai pas faim. Je dois terminer ma séance de pompes avant. »

Championne. Pourquoi ne pas lui avoir dit « non », tout simplement ? Maintenant, elle allait certainement proposer d’attendre que je termine cette séance de pompe pour manger avec elle. C’était ridicule. En plus, mon estomac me trompa en gargouillant bruyamment. Super, merci pour le soutien ! Je soupirai puis tripota le bracelet à mon bras, sans la quitter des yeux. Si elle tentait quoi que ce soit …

Ma réponse ne sembla pas la déranger plus que cela, elle me souriait en me fixant d’un air qui m’intriguait clairement. Elle semblait avoir une idée derrière la tête, sans doute à cause de mon ventre qui avait clairement crié son désaccord quand j’avais refusé son offre. Mais en même temps il fallait vraiment que je termine cet entraînement, je devais résister à la tentation. Ça ne serait pas bien compliqué.

Elle me provoqua de nouveau, amusée, en m’adressant un clin d’œil en même temps. Elle marquait un point. Mais j’avais une assez grande force mentale pour ne pas succomber à une simple proposition de repas. Elle était très loin de réussir à me convaincre ainsi. Néanmoins, mon expression changea aussitôt qu’elle se hissait sur la pointe des pieds en penchant sa tête sans me quitter des yeux. Je la fixais d’un air encore plus méfiant, amorçant un mouvement vers mon bracelet, avant de me raviser.

Je devenais vraiment parano. Qu’est-ce qu’elle pourrait bien me faire ? J’étais, à première vue, beaucoup plus forte qu’elle et sa taille fine. Je croisais alors les bras, sans bouger et sans rien dire, affichant cette fois un petit sourire en coin et sure de moi. Ce changement radical de comportement pouvait peut-être effrayer à première vue, mais j’avais clairement pris conscience que je n’avais rien à craindre. Et puis, j’avais des réflexes, si la gamine tentait quelque chose je pourrais rapidement déployer mon gantelet.

Sans que j’eu le temps de dire quoi que ce soit de plus, elle avait repris la parole pour m’annoncer ce qu’elle comptait faire, avant de commencer à s’installer à côté de moi. J’haussais un sourcil, amusée par ce qu’elle venait de dire, et qui clairement me faisait penser à autre chose. Pouvant difficilement me retenir, je lâchais un petit rire.

« Le sport à deux ? Oui, ça dépend lequel. »

Mais je perdis bien vite mon sourire, car progressivement elle sortit de la nourriture en pagaille … et je détournais le regard. Je devais prendre sur moi. Ça n’était pas en voyant simplement de la nourriture que j’allais lâchement abandonner, même si j’avais très faim. D’habitude, ça ne me faisait pas ça, elle n’aurait pas dû m’interrompre car à cause de ça j’avais été déconcentrée et détournée de mon but initial.

« Eh bien … bon appétit … »

Je toussotais légèrement puis lui tourna le dos avant de reprendre mes pompes là où je les avais laissés. Tant qu’à faire, autant repartir de zéro, j’avais perdu le compte avec tout ça. Je repris alors mon entraînement tranquillement, tentant d’ignorer cette jeune femme non loin de moi, et surtout toute la nourriture qu’elle avait disposé au sol. Moi qui n’aimais pas être dérangée, il allait falloir que je trouve un autre petit coin au calme.

-Oh bah tous les sports ! Le foot, le badminton, la course à pied ! A deux tout est toujours mieux mais navrée, pour les sports nocturnes, jamais le premier soir, toujours le deuxième, bah oui c’est évident !

C’était assez incroyable la capacité que cette jeune femme, qui s’appelait Loriel de ce que j’avais compris, arrivait à mettre en œuvre sans flancher une seule seconde. C’était clairement ce genre de caractère qui se démarquait des autres, et qui était intéressant à mes yeux. Elle ne semblait pas se laisser marcher dessus, et elle avait l’air d’être du genre à camper sur ses positions.

Je levais les yeux au ciel, mon temps de réaction avait sans doute été un peu long, mais j’affichais un léger sourire. Je m’étais attendue à ce qu’elle rougisse, qu’elle change de sujet, ou quoi que ce soit d’autre que ça. Mais non, elle m’avait répondu et elle était même rentrée dans le jeu. Originale sur beaucoup de points, cette jeune femme. Je tentais néanmoins d’ignorer un maximum ses regards et ce qu’elle me disait, avec l’espoir qu’elle baisserait les bras et s’en irait pour me laisser faire mon sport tranquillement.

Mais c’était mal partit. Elle me narguait, vantant les mérites de la nourriture qu’elle était en train de déguster non loin de moi. Elle venait même de se rapprocher de nouveau. Sa persévérance était à la fois inquiétante et bluffante, j’affichais pourtant une mine blasée pour tenter de lui faire comprendre que je n’étais pas intéressée et que je devais réellement finir ce que j’avais commencé, comme je lui avais dit. Pourquoi voulait-elle absolument que je la rejoigne ?

Alors que j'avais repris mes pompes et que j'avais à peu près réussi à me concentrer sur ce que je faisais de nouveau, je m'interrompis, fixant le sol un moment. Une douce odeur était parvenue jusqu’à moi, une odeur que j’adorais. Difficile de résister, cette odeur me rappelait bien trop de souvenirs. Ma mère était une cuisinière hors norme, et ses petits plats me manquaient. Les desserts de ce type faisaient partit de ceux que j’aimais déguster quand elle les faisait. C’était un hasard plutôt impressionnant, car personne n’était censé savoir que ce genre de dessert faisait partit de mes préférés.

Suite à ses paroles, je grognais doucement et abandonna mon sport, m’asseyant les genoux relevés, face à elle. Je la fixai d’un air concentré, l’analysant un peu, tandis qu’elle affichait un large sourire. Elle était insistante, elle ne lâchait rien, et elle ne se laissait pas décontenancer. Elle me rappelait presque moi, sur certains points. J’avais l’impression de faire face à mon ancien chef aussi, à ça près que j’avais du le voir sourire une ou deux fois en dix ans. Elle, elle ne cessait de sourire malicieusement, elle ne semblait pas dangereuse mais n’importe qui pouvait porter un masque après tout.

« J’ai pas d’ordre à recevoir de qui que ce soit… », soupirais-je. « Tu comptes vraiment pas me laisser tranquille, pas vrai ? »

Je me mordis la lèvre inférieure puis, prudemment, me levait pour la rejoindre finalement. Je comptais bien faire extrêmement attention à chaque chose qu’elle me tendrait, quitte à faire semblant de boire ou de manger au début pour être certaine qu’elle ne tentait pas de me piéger. Parano, oui, mais c’était légitime. On ne sait jamais qui on peut rencontrer.

« Bon, ok, j’arrête mon sport pour l’instant. Mais pas longtemps. »

C’est moi qui disait ça ? Elle allait clairement réussir à me retourner le cerveau encore une fois. Si ça partait trop loin, je m’en irait. Je ne voulais pas attirer d’ennuis inutiles, surtout que je ne connaissais pas encore réellement ses positions sur la situation actuelle de notre société, et encore moins ce qu’elle attendait de moi. Peut-être qu’elle voulait simplement apprendre à me connaître en toute innocence, ou peut-être que j’avais raison d’être méfiante. Je le resterais, mon arme n’était pas loin, au besoin je pourrais largement la maîtriser qui qu’elle soit. Et au besoin, appeler des renforts ne seraient pas non plus très compliqué.

Je soupirais, non pas pour elle mais pour moi. J’étais vraiment ridicule ! Elle n’allait clairement pas être compliquée à gérer. Quel âge j’avais, sérieusement ? J’avais déjà fait face à plus dangereux dans ma vie, et pour l’instant elle ne semblait vraiment pas l’être. Je remontais un genou et posa mon bras dessus, tendant l’autre jambe en la regardant, tout en essayant de ne pas me focaliser sur la douce odeur de nourriture autour de moi. Nerveusement, je passais une main dans mes cheveux en tentant de garder un visage neutre.

« Tu as l’air d’avoir un rapport avec la nourriture assez incroyable. J’avais jamais entendu quelqu’un insister autant pour partager son repas. »

Plus le temps passait, plus je me disais que m’installer aux côtés de cette jeune femme avait été une mauvaise idée. Elle n’était pas si désagréable, et elle semblait pleine d’assurance, mais je m’étais clairement laissée entraînée dans ce qui semblait être un pique-nique grandeur nature qui allait sans aucun doute durer beaucoup trop longtemps à mon goût. Et pourtant, j'étais assise et je ne partais pas.

Oui, bon, elle n’avait peut-être pas empoisonné la nourriture en effet. Vu comme elle gobait tout ce qui se trouvait devant elle en comparant l’amour de la nourriture avec celui du sport, elle aurait clairement eu quelques soucis si c’était empoisonné. Mais je décidais de ne rien prendre, une nouvelle fois, sans la quitter des yeux.

Elle cherchait donc à éviter d’aller en cours. Une vraie petite rebelle, elle me rappelait mon adolescence, quand j’avais commencé à fuir les cours à domicile pour aller m’éclater avec mes potes. Ça avait le don d’énerver mon père, d’ailleurs, mais moi ça m’amusait. Après tout, il fallait bien que je profite de ma jeunesse. C’était injuste qu’il me retienne comme ça, et qu’il m’empêche de voir d’autre personne. Je pris une grande inspiration, réagissant que j’étais en train de sourire un peu débilement en fixant le vide à côté de Loriel, puis me reprit et la regarda de nouveau en effaçant légèrement mon sourire.

« Oh, mais t’es une vraie rebelle dit moi. Tu étudie quoi ? »

Je levais les yeux au ciel à sa phrase. Moi, faire trop de sport ? Pas du tout ! Je vivais pour ça. Et puis, il fallait bien que je me maintienne en forme et que je me vide l’esprit. Il n’y avait rien d’autre à faire qui était à la fois intéressant et bon pour le corps, alors je ne me privais pas. Et puis, dans le fond, je n'avais pas d'autres choix, de toutes manières.

« M’amuser … hmm … je m’amuse quand je fais du sport, ou quand je fais ce que j’aime de manière plus globale. C’est important de prendre soin de son corps, et de s’évader un peu loin de tout et de tout le monde. C’est même essentiel je dirai. En tout cas, personnellement, je ne pourrais pas vivre sans. »

Je m’étirai un peu puis prit un marshmallow dans une main, le faisant tourner entre mes doigts en le fixant, avant de reprendre la parole d’une voix un peu moins forte et plus neutre qu’auparavant.

« Je m’appelle Kate. Un plaisir de te rencontrer, Loriel. »

Je m’apprêtais à le manger, ce marshmallow. Vraiment. Mais je n’en eu pas le temps. Car au moment où je voulais le manger, Loriel me le prit des mains et le mangea à ma place, sans aucune forme de pitié. Ensuite, elle me regarda avec un petit sourire en coin tandis que je la dévisageai en levant un sourcil. Encore heureux que je n'accordais pas autant d'importance à la nourriture qu'elle, autrement je l'aurais sans doute égorgée.

Par contre, elle avait tort sur ce point. Le sport était certes fatiguant, mais il m’amusait vraiment énormément. Même si manger était plutôt sympa, ça n’aidait pas à grand-chose, enfin pour ma part en tout cas. Rien que le fait de sentir mon corps réagir, et de voir les résultats ... que demander de plus.

« Je sais bien. Je suis concentrée quand je fais mon sport. C’est pour ça que *normalement* je refuse d’être dérangée pendant que j’en fais. Et c’est aussi pour ça que je viens dans ce genre d’endroit pour avoir moins de chances de l’être … »

C’était un reproche un peu dissimulé. Mais à part insister un peu, elle ne m’avait pas contraint à la rejoindre et donc à arrêter mon sport. Quoi que, l’utilisation de la nourriture pour me faire céder était bien vicieux, il fallait l’avouer. Si elle savait qui j’étais, nul doute qu’elle aurait vite fait demi-tour, quelle que soit son opinion sur mon organisation. Quoi que … son esprit semblait suffisamment fou pour très bien le prendre, et limite avoir des étoiles dans les yeux. Je secouai la tête. C’était ridicule, de toutes manières je ne le criais pas sur tous les toits. Les enjeux, tout comme les risques, étaient beaucoup trop grands.

« Voyager, hein … c’est un beau projet. Il y a des tas de belles choses à voir dans le monde. Tu es jeune, profite en. »

Je m’étirai de tout mon long une nouvelle fois, les yeux fermés, et quand je les rouvris elle avait planté sa fourchette dans un morceau de la tarte qui sentais si bon, et me tendais le morceau en l’approchant de ma bouche. Surprise, je fixai à tour de rôle la fourchette et Loriel, qui affichait toujours un large sourire.

Je n’étais pas gênée. Enfin, pas vraiment. Sa manière de m’aborder et d’agir avec moi me laissait pantoise, et je ne savais plus vraiment où me mettre à force. Je n’avais pas envie de la repousser, puisqu’elle ne semblait avoir aucune mauvaise intention à mon égard, et que je ne pouvais pas espérer changer d’air si je repoussais toutes les personnes qui tentaient de m’aborder.

Je saisi alors la main de Loriel qui tenait la fourchette, et la maintint doucement entre mes doigts en la rapprochant de ma bouche pour gober le morceau de tarte. Je ne savais pas où elle s’était procuré cette nourriture, mais c’était vraiment excellent. Je gardai sa main dans la mienne en laissant échapper un léger soupir de satisfaction, un petit sourire commença même à se dessiner sur mes lèvres et à y rester.

« C’est vraiment hyper bon. »

Ma réaction suite à la dégustation du morceau de tarte que Loriel m’avait gracieusement offert semblait l’avoir un peu décontenancé. J’avoue que sur le coup, je n’avais pas vraiment réfléchit à ce que je faisais. Mon côté direct me perdra ! Je tenais toujours sa douce main dans la mienne, sans trop serrer. Je tentais quand même d’afficher de nouveau un sourire "normal" pour ne pas montrer la gêne qui s’était emparée de moi. Je me sentais stupide, je n’étais plus une ado et je ne devrais plus avoir ce genre de réaction depuis longtemps. Mais ce genre de contact était rare chez moi, je me l’étais interdit, peut-être un peu trop. Peu importe.

Elle voulait savoir ce que je faisais comme métier. Impossible que je lui dise la vérité, bien qu’elle s’en rapprochait en quelque sorte en parlant de la police. Autant mettre les choses au clair maintenant, sans trop rentrer dans les détails, ce serait inutile.

« Sportive professionnelle, c’est le métier que j’aurais fait si je n’avais pas été prise dans ce que je fais actuellement. Je suis dans la sécurité, donc tu t’en es plutôt bien rapprochée en évoquant la police. »

Ce n’était pas réellement un mensonge, après tout j’assurais réellement la sécurité. Mais cela fait mauvais genre de dire « hey, j’assure la protection contre les monstres qui menacent la sécurité du peuple humain ! », même si je n’avais absolument aucune honte de mes valeurs et de ma manière de penser vis-à-vis des Descendants. Je préférais agir dans l’ombre, quitte à avoir une double vie. Personne n’avait besoin de savoir que j’agissais pour protéger l’humanité, je ne cherchais pas de la reconnaissance, simplement à faire ce qui devait être fait.

Elle reprit la parole et pour le coup, elle m’avait fait rire. Bon, je n’avais pas explosé de rire non plus, mais tout de même. Elle avait raison, ça ne faisait pas de mal d’être sortie un peu des sentiers et de profiter d’autre chose. Le sport pourrait bien attendre, de toutes façons il était trop tard maintenant, j’avais largement dépassé mon heure. Autant profiter un peu, et mettre en marche ce à quoi je réfléchissais depuis quelques mois : apprendre à me détacher de ma vie professionnelle, juste un peu.

-Sinon… vous comptez lâchez ma main ? Faites attention parait que je mords !

Ses paroles aidèrent mon esprit à retrouver très rapidement le chemin vers la réalité, et je perdit subitement mon sourire en écarquillant les yeux. Effectivement, je lui tenais toujours la main. Je n’avais même pas fais attention à ça. Pour le coup, je ne savais pas trop quoi dire, et si mes gars me voyaient ils auraient de quoi bien rire, en plus d’être choqués. Il fallait dire qu’entre le travail et la vie privée, j’étais totalement différente. Je cherchais constamment la perfection, le sérieux, et c’était compliqué de ne pas appliquer cela quand je n’étais pas dans les locaux de mon organisation. Mais c’était logique, devant mes gars je devais rester sérieuse, prouver que je n’étais pas leur chef pour rien. En dehors, eh bien … j’essayais d’être un peu plus ouverte. Mais à ce point, ça me surprenait totalement, et j’allais vraiment beaucoup trop loin.

Avant que je ne puisse laisser le temps à mon esprit de réagir pour lâcher la main de Loriel, cette dernière mordilla doucement la mienne, et alors à ce moment là je perdit complètement pied. J’étais figée, et ma réaction me surpris tout autant que le reste. Cette Loriel était perturbante, je ne savais pas ce qu’elle attendait de moi mais ça n’était pas normal du tout. Elle ricana en cessant de me mordre, tandis que je la fixais et qu’elle reprenait de quoi manger. Est-ce que …

Je secouais la tête de droite à gauche et dégagea ma main, pas brusquement mais tout de même sèchement, puis positionna mes mains derrière moi pour me pencher légèrement en arrière en regardant ailleurs, retrouvant mon air blasé. Plus que quelques minutes et je partirais. Je devrais le faire maintenant, en vrai, cette fille était bien trop perturbante. Mais peut-être qu’avec ma réaction elle allait comprendre. Quoi que, après tout … c’était moi qui lui avait prit la main au début. Je changea alors immédiatement de sujet en évoquant ce qu’elle m’avait dit juste avant, espérant qu’elle zappe complètement ce qu’il venait de se passer.

« Briser mon confort ... je vais finir par penser que je t’ai tapé dans l’œil, quel est ton but exactement ? »

Elle me trouvait étrange … hum, bon, il fallait dire aussi que je ne m’étais pas vraiment montrée sure de moi depuis le début. Mais que voulait-elle que je réponde à ça ? Je n’avais pas suffisamment l’habitude de discuter avec les gens, elle avait bien dû le remarquer. Je ne savais pas comment je devais agir pour à la fois me protéger mais aussi sociabiliser comme une personne normale. Tout allait bien trop vite pour moi, et ça me perturbait.

« Je me préserve à ma manière. »

Inutile d’en dire plus, cette réponse lui suffirait bien. Elle enchaîna, et je compris que ma gêne s’était bien fait ressentir pendant nos échanges, malgré mes efforts. Je la dévisageai un instant, songeuse. Non, ce n’était pas la peur qu’elle m’attaque qui me rendait ainsi. A moins qu’elle cache bien son jeu, je pensais pouvoir la contrôler très facilement. C’était plutôt le fait qu’elle soit quelqu’un de totalement inconnu, et que ses intentions étaient encore floues à mes yeux. Je choisis donc de ne répondre que par un simple haussement d’épaule, qu’elle interpréterait comme elle le souhaiterait.

Elle cherchait à en savoir plus sur mon travail, mais je n’aimais pas spécialement en parler. Si je voulais rester dans l’ombre, c’était pour une raison, et je ne souhaitais pas mentir non plus. Je pouvais peut-être détourner la conversation et espérer qu’elle ne revienne pas dessus. Ainsi, je n’aurais pas besoin de trop y répondre, et je pourrais lui poser des questions la concernant pour la connaître un peu plus.

« Ça dépend. Mais dis, pourquoi tu sèches les cours ? C’est si peu intéressant que ça ? Tu voudrais faire quoi plus tard ? »

Après ces questions, je pris un marshmallow de nouveau et le mangea avant qu’elle n’ait le temps de me le voler comme elle avait fait avec le précédent. Je ne la regardais plus, et j’acquiesçais simplement à ce qu’elle me disait, comme quoi elle trouvait ça amusant de partager sa nourriture avec moi. J’étais à peu près du même avis, même si je n’y étais pas habituée, elle semblait réellement sympathique donc je n’avais qu’à me détendre, bien que je reste encore un peu sur mes gardes tout de même. Je continuais donc je manger tranquillement puis au bout d’un moment je relève la tête vers elle, ne l’entendant plus parler. Ce qui, chez elle, était totalement inhabituel.

Son regard me perturba, encore plus que précédemment. Mais cette fois, c’était parce qu’il était justement différent des fois d’avant. Elle semblait avoir vu un fantôme, elle était terrifiée et avait gardé la bouche ouverte. Cette situation aurait pu prêter à rire ; et peut-être qu’elle comptait me faire une crasse dès que j’aurais le dos tourné, alors au lieu de me retourner je décidai de m’asseoir un peu plus sur le côté pour jeter un œil en même temps à ce qu’elle regardait. Je fus coupée dans mon élan en voyant de quoi il s’agissait. Un ours, un énorme ours. Je fronçai les sourcils et me redressa doucement, sans le quitter des yeux.

« Loriel … commence à partir doucement, sans un bruit. Ok ? » je murmurai, espérant qu'elle ne serait pas trop concentrée sur l'ours et qu'elle pourrait m'entendre.

Accroupi, je me penchai tant que possible vers mon sac en avançant un peu, puis parvint finalement à l’atteindre au moment où la grosse bête se rendait compte de notre présence, et gronda dans notre direction en rompant complétement le silence alentour, résonnant dans la forêt. Je me levai brusquement, le sac à la main, et plongea ma main libre à l’intérieur pour saisir mon poignard. Utiliser mon arme à feu serait stupide à ce moment-là. Il continua de grogner férocement et je campais sur mes positions, attendant patiemment de voir ce que l’ours comptait faire. Dès que Loriel serait partie tranquillement, je commencerais à le faire également. Sauf si l’ours se mettait à attaquer.

Justement, il n’attendit pas un instant de plus et fonça lourdement dans ma direction. Espérant que Loriel s’était mise en sécurité, je plongeai sur le côté pour l’éviter et me releva, tentant de lui asséner un coup de poignard dans le flanc. Mais je ne parvins pas à l’atteindre, l’ours donna un coup de mâchoire puissant dans ma direction, m’obligeant à reculer. Il se replaça totalement face à moi et se dressa sur ses pattes arrière, tentant de me griffer avec l’une de ses pattes avant qui devait faire quatre fois ma main. Instinctivement, je fonçais vers lui pour essayer de le déstabiliser, ce qui fonctionna sur le coup. Il interrompit son geste tandis que j’étais contre lui, et je lui donnai un coup de poignard dans le ventre ce qui le fit gronder encore plus puissamment que précédemment.

Il me repoussa en arrière, mon poignard s’envola un peu plus loin, et alors que j’essayais de me relever il repartit à la charge pour me donner un nouveau coup de patte. Je roulais sur le côté, mais trop tard, ses griffes lacérèrent mon bras nu et je hurlai de douleur, la vue troublée par cette dernière. Je posais ma main sur ma blessure, le sang coulait entre mes doigts, et profita de sa lenteur pour rouler une nouvelle fois en tentant d’ignorer la douleur du mieux que je le pouvais puis me releva en m’adossant contre un arbre tandis qu’il grognait dans ma direction. J’ignorais à quel point je l’avais blessé, mais une chose est sûre c’est que je l’avais bien énervé.

Les choses commençaient à devenir un peu hors de contrôle. Loriel semblait trop sous le choc pour bouger au début, et je l’avais entendu crier mon nom lorsque l’ours avait engagé le combat avec moi. A mon grand soulagement, elle s’était reculée pour se planquer derrière un arbre. Personnellement, je commençais à me faire assaillir, l’ours était beaucoup trop gros et fort pour que je puisse tenir bien longtemps. La blessure que j’avais réussi à lui infliger ne semblait pas l’avoir trop fatigué, contrairement à moi qui commençait déjà à faiblir, logique.

Alors que je me demandais comment j’allais bien pouvoir faire pour éloigner l’ours sans risquer ma peau, j’entendis Loriel attirer l’attention de la bête. Est-ce qu’elle avait perdu la tête ? Elle allait l’attirer sur elle, et elle ne tiendrait même pas une seconde face à lui. C’était un peu méchant de penser ça, mais à moins qu’elle cache bien son jeu elle n’avait pas l’air de pouvoir résister bien longtemps. L’ours lui fonça dessus, comme elle semblait l’avoir prévu, mais il allait clairement la rattraper. Oui, elle était folle, plus de doute.

Je serrais les dents en réfléchissant à ce que j’allais bien pouvoir faire, décidant que seul un fou ou un suicidaire poursuivrait une si grosse bête pour quelqu’un qu’elle connaissait à peine, mais en même temps sortir mon arme serait bien trop stupide, je ne pouvais pas tirer à tout va comme ça. Je pris alors mon sac et m’empressa de les suivre à distance raisonnable, simplement pour m’assurer que Loriel ne soit pas trop en galère avec le gros ours. J’espérait simplement qu’elle aurait le réflexe de grimper dans un arbre, elle qui semblait si agile, au moins il finirait par lui lâcher la grappe. Ce qui l’importait avait sans doute été la nourriture, avant qu’on ne l’énerve pour de bon.

Je me planquai donc derrière un arbre pour surveiller la situation. Si cette dernière finissait par exiger que j’intervienne de nouveau, je le ferais, histoire de laisser le temps à Loriel de partir. Mais soudainement ma blessure me lança de nouveau et me fit remettre les pieds sur terre. Je saignais encore beaucoup, et je ne devais pas trainer pour me soigner, sans compter qu’il ne m’avait vraiment pas raté, ça faisait un mal de chien. Je m’agenouillais, lançant de temps à autres des regards pour vérifier qu’ils ne partaient pas trop loin, mais de toutes manières je n’arriverais clairement pas à les suivre pour le moment. Dans mon sac, j’avais de quoi me soigner, alors j’entrepris de le faire aussi soigneusement et rapidement que possible. Une fois de retour au QG, quelqu’un s’en occupera beaucoup mieux. En attendant, il fallait que je fasse en sorte de ne pas avoir une mort innocente sur la conscience.

Mon bandage tenait plutôt bien, je verrais pour améliorer ça plus tard. De toutes façons, il n’y avait plus grand-chose à faire. Je lançais un regard derrière l’arbre, mais je ne voyais plus ni Loriel, ni l’ours. Qui sait ce qu’il pouvait se passer actuellement, ou même ce qu’il s’était déjà passé ? Impossible de le savoir, et en même temps est-ce que j’en avais vraiment envie ? Cette fille devait déjà être morte à l’heure qu’il est, ou alors extrêmement blessée, et ça, ça craignait beaucoup. Je serrais les dents et prit une grande inspiration, fermant les yeux quelques instants.

Des souvenirs refirent surface à ce moment même. A mon entrée au sein de P.U.R.E, on m’avait appris des tas de choses, physique mais aussi mentale. J’avais redoublé d’effort, plus que je ne l’avais jamais fait, parce que mon mot d’ordre était de ne pas faiblir et de me tenir parée contre tout ce qu’il pourrait se passer. Aujourd’hui encore, c’étaient les enseignements que je donnais aux autres, et c’était comme ça que je comptais diriger P.U.R.E. La faiblesse n’était pas quelque chose de tolérable, même si j’avais encore tendance à laisser passer certaines choses. Notre mission, c’est la priorité. Et pourtant aujourd’hui j’avais pris conscience que ça ne devait pas m’empêcher d’être sociable, je ne voulais pas cependant arriver à un tel résultat… à m’inquiéter pour quelqu’un que je ne connaissais pas.

Je rouvrais les yeux, décidée à bouger. Non mais, j’étais qui au juste ? Rester planqué derrière un arbre ne me ressemblait pas, surtout que Loriel venait de me sortir d’un mauvais pas, je lui en devais une. Je me relevais et sortit de ma cachette, puis me retrouva nez à nez avec elle. Je n’eus pas le temps de dire ou faire quoi que ce soit qu’elle me sauta dessus sans plus attendre, me serrant contre elle. Surprise, je me laissais faire sans trop savoir comment réagir, tandis qu’elle m’expliquait comment elle s’en était sortie avant de reculer et de me fixer. Elle débiter tellement de mots à la seconde que mon cerveau n’arrivait même pas à assimiler tout en même temps.

Je la regardais d’un air étonné, comment avait-elle fait pour sortir de cette situation ? Malgré tout, elle était saine et sauve, c'était rassurant et encore plus étonnant d’ailleurs. Ses explications tenaient la route mais vu la folie meurtrière de l’ours je trouvais étonnant qu’il ait lâché l’affaire aussi vite en mangeant des bonbons. Mais pourquoi m’aurait-elle menti ? Après tout, l’ours ne semblait réellement plus là. Elle me serra de nouveau dans ses bras et j’esquissais un léger sourire en coin, sans répondre comme elle l’aurait sans doute voulu. J’étais encore un peu sur mes gardes, j’avais simplement posé mes mains sur ses épaules mais sans plus. Je reculais doucement au bout de quelques instants et la fixait sans perdre mon petit sourire.

« Tout va bien, c’est l’essentiel. Merci de ton aide, je suis contente de voir que tu n’as rien. »

Je ramassais mon sac par terre, et fit une petite grimace de douleur. La blessure me lançait, et j’étais exténuée. Nul doute qu’un combat contre un ours, je ne l’aurais jamais remporté. Il était beaucoup trop puissant et sauvage, d’autant plus que je l’avais blessé et ça n’avait pas arrangé la situation. Je soupirais puis fixait Loriel d’un air qui se voulait apaisant.

« Ne t’en fais pas, ça va aller. Je sais où aller me faire soigner cette vilaine blessure. Mais si l’ours rôde, on devrait peut-être bouger de là avant qu’il revienne. »

Inquiète, je lançais un regard derrière Loriel pour vérifier qu’il ne traînait pas dans les parages. Il ne faudrait pas qu’il revienne, je n’étais clairement pas en état et Loriel n’aurait pas un si gros coup de chance une seconde fois. Je reposais les yeux sur elle.

« Tu es en sécurité, mais avec cette blessure je ne pourrais pas lui tenir tête encore une fois. Rejoins la ville, ça vaut mieux. »

Loriel s’était brusquement reculée, peut-être avait-elle sentit ma gêne. En même temps, c’était assez inhabituel pour moi de recevoir un câlin d’un coup comme ça, sans arrière-pensée. Sa joie de vivre et son énergie débordait et au fond, même si je ne l’avouerais sans doute jamais à haute voix, cela me faisait du bien. Je n’avais que trop rarement rencontré de personnes comme elle, voir pas du tout. En général, je causais avec des gens sérieux ou sur leur garde, méfiants, mais jamais aussi ouvert d’esprit et sociable. C'était la voie que j'avais choisie, et malgré tout je ne regrettais rien.

Mais elle avait beau être adorable – "adorable" ?! pour cette pensée, je me giflais intérieurement -, je ne tenais pas à aller à l’hôpital pour une blessure si superficiel. J’avais tout ce qu’il fallait au QG, inutile d’aller dans un endroit ou je serais trop peu protégée ni à l'aise. Je ne m’y sentirais pas à ma place, de toutes façons. Ses menaces n’eurent aucun effet sur moi, bien que j’étais un peu chatouilleuse elle n’allait pas me faire céder si facilement.

« Loriel … » Je posais une main sur son épaule. « J’ai pas besoin d’aller à l’hôpital pour ça, ne t’en fais pas. »

Je la suivais tandis qu’elle continuait à avancer en nous entraînant hors des bois, campant néanmoins sur mes positions. Je lui jetai un coup d’œil et ne put m’empêcher de constater à quel point l’air qu’elle faisait était vraiment trop chou. Elle se comportait réellement comme si on se connaissait depuis longtemps. Cette attaque avait certes créé quelques liens qu’on le veuille ou non, mais on aurait pu en rester là. A vrai dire, j’aurais du faire en sorte que ça en reste là. Mais je ne l’avais pas fait, c’était trop tard, tant pis. Il faudrait bien prendre des distances après.

« On va retourner en ville tranquillement et je vais m’occuper de ça. D’accord ? »

Je m’arrêtais et la forçait à faire de même, posant ma main sur la sienne instinctivement en souriant… avant de la retirer rapidement, gênée. Je repris très vite mes esprits et mon air sérieux, j’étais chef bon sang ! Ces réactions étaient stupides.

« Merci beaucoup pour ton aide. Vraiment. Et t’en fais pas, c’est pas une égratignure qui va me tuer ! »

Je soupirais. Bon, je pense que c’était sans aucun doute la seule négociation que j’arriverais à faire avec elle. Elle était têtue, autant que moi, et je n’avais pas envie de passer trop de temps ici, surtout avec cette blessure. Donc il valait mieux accepter avant qu’elle ne change d’avis, c’était mieux que rien.

« Bon, très bien. »

Je la laissais continuer de m’entraîner, perdue dans mes pensées. Je n’arrivais toujours pas à comprendre ce qui la poussait à m’aider autant. En plus, elle restait calme et toujours avec autant de joie de vivre qu’au départ, alors que j’essayais de garder un minimum de sérieux, même si ça n’était franchement pas évident. Plus de doute, cette fille était définitivement perturbante sur de nombreux points, mais je restais encore un peu distante. Il le fallait, c’était une très mauvaise idée de faire autrement.

Arrivées en ville, je regardais autour de moi en espérant peut-être apercevoir un de mes agents en qui j’avais confiance, mais étant éloignées du centre-ville il n’y avait pas grand monde. Résignée, je tournais la tête vers elle au moment où elle raccrochait et m’annonçait que le taxi était en route. Je ne put m’empêcher de rire doucement à sa phrase, encore une fois elle mettait tellement d’entrain dans ce qu’elle racontait qu’il était impossible de rester impassible.

Pourtant, je sentis la situation m’échapper encore une fois quand elle m’ébouriffa les cheveux. Je n’avais pas l’habitude des contacts avec les autres, encore moins des petites attentions de ce genre. Ça n’était pas pour rien que je refusais d’aller à l’hôpital, même si je savais que c’était clairement ridicule et qu’un jour j’en aurait sans doute bien besoin. Mais c’était comme ça, s’attacher c’était risquer de donner la possibilité à quelqu’un de nous faire souffrir, et accepter cela volontairement était une preuve de faiblesse. Je perdis un peu mon sourire en m’éloignant un peu d’elle, trop gênée par ce contact, puis m’adossa contre le muret avant de croiser les bras et d’observer devant moi.

« Pourquoi tu m’aide au juste ? »

Ma voix avait peut-être été un peu trop froide à mon goût, et Loriel n’allait sans doute pas comprendre ce revirement de situation si brutal. Mais je maintenais mon regard droit devant moi en attendant patiemment la réponse, ignorant la douleur qui me lançait parfois en réfléchissant à la situation actuelle et passée. Loriel était jeune, pleine de vie, et c’était ça que je voulais voir chez les gens normaux tous les jours. Pendant un instant, il me vint à l’esprit de lui dire dans quoi je travaillais réellement, mais c’était sans doute une mauvaise idée. Le crier sur tous les toits n’était pas très intelligent, surtout que je ne connaissais vraiment pas grand-chose sur elle.

Je guettais l’arrivée du taxi, tellement perdue dans mes pensées que je ne le verrais sans doute pas arriver, puis décroisa les bras avant de poser mes mains en arrière sur le muret. Si Loriel faisait ça par bonté de cœur, il fallait qu’elle apprenne à se méfier des gens qu’elle rencontrait comme ça par hasard. Sinon, je ne donnais pas très cher de son innocence et de sa joie de vivre.

« C’est calme. Et toi, tu vas aller où ? »

J'avais retrouvé une voix à peu près sereine, depuis que j'avais rompu le contact. Autant discuter encore un peu, installer un silence pesant serait encore plus gênant sinon.